Conversations silencieuses

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Extraits de l’introduction du livre “Conversations silencieuses au cœur de l’Ardèche sauvage” paru aux éditions Hozhoni 

 

L’aventure qui m’appelle, souvent, consiste à remonter un vallon escarpé, attiré là par ce que j’ai imaginé en scrutant les courbes de niveau sur la carte. Hors sentiers. Hors du temps, comme on dit. Hors d’un temps linéaire qui s’écoule selon les affaires humaines. On ne peut ici que se sentir imbriqué dans un ensemble de cycles lui-même inséré dans d’autres cycles. Ralentir. Toujours ralentir, ralentir pour voir, pour sentir, pour faire partie, ralentir encore pour s’incorporer dans les cycles. Hors d’un temps, avec les autres temps.

Il faut du temps pour réapprendre les langues oubliées, celles qui ne sont pas dans les livres, qui ne sont pas transmises, cachées dans l’air ou contre le sol, dans une griffure, un effluve, une écriture sur le bois, le velours d’une feuille. La langue du silence qui appelle un profond respect, un état de communion. Pour les incultes des expressions de la terre que nous sommes devenus, on peut apprécier chaque image que l’on vient poser sur un signe, chaque mot décodé, chaque lien noué avec ce qui nous échappait jusqu’alors, comme une victoire personnelle sur le fossé depuis longtemps creusé avec l’ensemble du monde vivant animé. Il faut du temps pour redéployer nos sens enfermés dans des environnements humains vers une participation avec ce qui est au dehors, avant que des images ne viennent s’apposer aussi sûrement sur des traces que sur les mots d’un livre.

Hors sentiers, je savoure la sensation de liberté en m’accrochant aux branches et aux intuitions, en domptant le vertige quand le relief ne permet pas de faux pas. Nos corps sont faits pour ça, pas pour déambuler sur un trottoir lisse et régulier sans savoir quoi faire de nos bras. Ils sont faits pour s’accrocher aux rochers, scruter longuement l’horizon, imiter les oiseaux, humer les odeurs qui ont une signification. Rien ne fait sens dans le résultat de notre auto-domestication, dans les boites où l’on s’isole face aux miroirs qui ne renvoient que l’image de notre esprit, dans une fuite narcissique. Une caractéristique essentielle de l’espèce humaine semble être de s’habituer à tout, jusqu’à ne plus pouvoir se rendre compte du problème d’évoluer dans un environnement pour lequel on n’est pas adaptés.

Nous faisons partie de l’animalité. Cette évidence biologique, qu’un enfant même bien souvent ne songerait à contredire, se heurte pourtant aux siècles de pensée qui ont dressé tant de monuments à la gloire du génie humain. Nous n’avons pas fini de nous questionner sur le sens de la vie tant que nos sens ne font pas partie en réciprocité du monde de la vie.

Il faut être prêt à habiter cette terre vivante, à se laisser habiter par elle, pour réveiller la mémoire de nos sens et des lieux. Se rappeler l’animal que l’on est, créature éphémère imbriquée dans le tissu vivant de la Terre, et ce n’est qu’en étant à notre infime place que l’on peut sentir le miracle d’en faire partie.

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